Rome - «Non coupables.» Moins de deux mois après la mort, le 4 mars, de l'officier des services secrets italiens Nicola Calipari alors qu'il ramenait Giuliana Sgrena, l'otage à peine libérée, vers l'aéroport de Bagdad, les autorités américaines s'apprêtent à blanchir les soldats qui ont ouvert le feu. Une décision qui provoque une vive indignation dans la péninsule. A Washington, le rapport d'enquête disculpant la patrouille serait prêt depuis plusieurs jours, mais le document n'a été pas encore été rendu public, Rome refusant d'entériner la version fournie par son allié américain.

Consignes. Selon des indiscrétions publiées hier par la presse italienne, les conclusions des experts du Pentagone établiraient que «les soldats qui ont tué le fonctionnaire du Sismi (services secrets italiens, ndlr) et blessé la journaliste Giuliana Sgrena à Bagdad ne doivent pas être considérés comme responsables de l'événement». La commission d'enquête américaine a ainsi estimé que toutes les consignes avaient été respectées : «Les soldats ont suivi à la lettre les procédures assignées aux militaires en faction aux check-points.» En clair, le Pentagone assure que les sommations d'usage ont été lancées mais que le véhicule, avec à son bord Giuliana Sgrena, Nicola Calipari et un autre fonctionnaire du Sismi, aurait refusé de s'immobiliser. Qui plus est, les Américains soutiennent que la Toyota Corolla roulait à vive allure. Ce que démentent la journaliste et l'agent des services secrets rescapés, qui ont affirmé que la voiture ne dépassait pas les 50 km/h et qu'un déluge de feu les a frappés à l'improviste. «Il n'y a eu aucun tir de sommation», a insisté hier Giulana Sgrena.

Le général italien Marioli, vice-commandant des forces alliées à Bagdad, soutient avoir averti un officier américain, une demi-heure avant la fusillade, que Nicola Calipari se dirigeait vers l'aéroport avec l'otage tout juste libérée. Le Pentagone affirme, au contraire, que le Sismi n'aurait pas prévenu les autorités américaines de sa mission. En toile de fond de cette polémique, on retrouve la divergence entre les deux pays sur le bien-fondé d'ouvrir des tractations avec les ravisseurs. A la différence de Rome, Washington a toujours rejeté l'idée de «négocier avec les terroristes». A Rome, l'ambassadeur américain a rencontré hier Silvio Berlusconi pour lui communiquer les conclusions du rapport. Le gouvernement italien pourrait officiellement prendre acte tout en maintenant ses réserves. Les deux délégués italiens au sein de la commission d'enquête auraient déjà refusé de contresigner le rapport définitif. Quant aux magistrats antiterroristes de Rome qui ont ouvert une enquête sur la mort de Calipari, ils ont fait savoir qu'ils entendaient poursuivre leurs investigations.

«Impunité». En attendant, l'attitude de Washington place Berlusconi dans une position délicate. «Je regrette qu'une indiscrétion imprudente ait parlé à tort d'une enquête achevée», s'est défendu hier après-midi le président du Conseil. L'opposition est montée au créneau contre l'«impunité» des soldats américains. «Les conclusions de la commission d'enquête sont une insulte à la vérité et à la mémoire de Nicola Calipari et une grave manifestation d'arrogance à l'égard de l'Italie», a tonné le député du centre gauche Giuseppe Fioroni. «C'est pire que tout ce que je pouvais imaginer. C'est une gifle inacceptable pour Rome», a pour sa part déclaré Giuliana Sgrena.